« La stratégie de “conformité litigieuse” est au cœur de la croissance d’Uber »


L’entreprise Uber est-elle différente de ce que révèlent les « Uber Files »ces 124 000 documents internes datés de 2013 à 2017 transmis au Guardian par Mark MacGann, un ancien employé devenu lanceur d’alerte, puis partagés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 42 médias partenaires, dont Le Monde ?

Oui et non. Depuis 2017, l’entreprise a connu bien des changements (nouveau PDG, nouvelle direction, culture interne différente), mais elle est restée la même sur un point essentiel : celui de s’opposer aux lois partout où elle opère. Car cette stratégie de « conformité litigieuse » (contentious compliance) est au cœur du mode de croissance de l’entreprise (« The politics of Uber : Infrastructural power in the United States and Europe », Jimena Valdez, Regulation & Governance, 3 février 2022).

Plus Uber devient indispensable à nos vies, plus elle devient puissante. Lorsque l’entreprise entre sur un marché et commence à offrir ses services, elle se fait connaître auprès d’une variété d’acteurs : chauffeurs, consommateurs, et même gouvernement, et devient de plus en plus importante pour eux.

Exploiter les zones d’ombre juridiques

Les chauffeurs dépendent d’elle pour leur subsistance, les consommateurs comptent sur sa disponibilité et sa fiabilité, et le secteur public l’apprécie pour des raisons diverses (un service supposé « cool » et moderne, l’accès aux données de mobilité, un substitut au service public de transport, entre autres). A la longue, Uber devient indispensable à nos vies, et nous ne pouvons plus imaginer vivre sans elle !

Parce que rendre ses services indispensables est la clé de son pouvoir, l’entreprise doit se développer coûte que coûte lorsqu’elle s’implante quelque part. Au départ, elle ignore tout simplement la loi, ou exploite des zones d’ombre juridiques – ce qu’ont reconnu les cadres d’Uber dans des messages internes qui ont fuité, plaisantant sur le fait qu’ils étaient des « pirates » et « dans l’illégalité ».

Mais, ensuite, l’entreprise s’adapte aux réglementations en vigueur pour proposer son service de transport de passagers par des chauffeurs titulaires du permis de conduire conduisant des véhicules conformes aux autorisations spécifiques prévues à cet effet (autrement dit, un taxi à l’ère des smartphones…).

Faire pression pour obtenir de nouveaux changements de la loi

Or, les réglementations varient d’un pays à l’autre et même d’une ville à l’autre ; c’est pourquoi Uber ne fonctionne pas de la même manière partout. En d’autres termes, la « rupture technologique » proclamée par l’entreprise n’est ni homogène (elle ne prend pas une seule forme) ni inévitable (elle peut être façonnée par la réglementation).

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Catégorie article Politique

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